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Publié le 15 mai 2009, modifié le 16 novembre 2012

Refonder l’université française

Vingt-neuf personnalités lancent un appel pour refonder l’université (lemonde.fr 14 mai 2009, science au carré).

Il est désormais évident que l’Université française n’est plus seulement en crise. Elle est, pour nombre de ses composantes, àpeu près àl’agonie.

Qu’on comprenne bien ce que cela signifie. L’Université n’est pas tout l’enseignement supérieur français. Les classes préparatoires, celles de BTS, les IUT (lesquels font formellement partie des universités), et l’ensemble des petites, moyennes ou grandes écoles, publiques ou privées recrutent largement. Mais c’est au détriment des formations universitaires, que les étudiants désertent de plus en plus, et cela tout particulièrement pour les études scientifiques.

Le secteur non universitaire de l’enseignement supérieur offre des formations techniques et professionnelles, parfois de qualité, mais parfois aussi très médiocres. Même si la situation évolue depuis quelques années pour sa fraction supérieure (les "grandes écoles"), ce secteur n’a pas vocation àdévelopper la recherche et àdonner des outils de culture et de pensée, et guère les moyens humains et scientifiques de le faire.

C’est dans les universités que l’on trouve la grande majorité des savants, des chercheurs et des professionnels de la pensée. Pourtant, alors qu’on évoque l’émergence d’une "société de la connaissance", nos universités ont de moins en moins d’étudiants et ceux-ci sont rarement les meilleurs. Une telle situation est absurde. Dans aucun pays au monde l’Université n’est ainsi le maillon faible de l’enseignement supérieur.

Le processus engagé depuis déjàplusieurs décennies ne conduit pas àla réforme de l’Université française, mais àson contournement. Il ne s’agit pas en disant cela de dénoncer un quelconque complot, mais de prendre acte de la dynamique d’un système àlaquelle chacun contribue par ses "petites décisions" ou par sa politique : les étudiants, leurs familles, les lycées, publics et privés, les entrepreneurs d’éducation, les collectivités locales et, in fine, l’État lui-même.

Le déclin de l’Université, matériel, financier et moral, est désormais bien trop avancé pour qu’on puisse se borner àrepousser les réformes proposées. Si des solutions susceptibles de réunir un très large consensus parmi les universitaires et les chercheurs mais aussi au sein de l’ensemble de la société française ne sont pas très rapidement formulées, la catastrophe culturelle et scientifique sera consommée.

Or de qui de telles propositions pourraient-elles procéder sinon des universitaires eux-mêmes ? C’est dans cet esprit que les signataires du présent manifeste, très divers dans leurs choix politiques ou idéologiques, y compris dans leur appréciation de la loi LRU, ont tenté d’identifier les points sur lesquels un très large accord pouvait réunir tous les universitaires responsables et conscients des enjeux. L’enjeu n’est rien moins que de refonder l’Université française en la replaçant au centre de l’enseignement supérieur.

1. Place de l’Université

Une des principales raisons du marasme de l’Université française est qu’elle se trouve en situation de concurrence déloyale avec tout le reste du système d’enseignement supérieur (classes préparatoires et de BTS, IUT, écoles de tous types et de tous niveaux), toutes institutions en général mieux dotées per capita et davantage maîtresses du recrutement de leur public.

On touche lààun des non-dits récurrents de toutes les réformes qui se sont succédé en France. Cette situation est d’autant plus délétère que la gestion de l’enseignement supérieur dans son ensemble dépend d’autorités ministérielles et administratives distinctes (l’enseignement secondaire pour les classes préparatoires et les STS, les ministères sectoriels pour les écoles professionnelles diverses), voire échappe àtout contrôle politique. Imagine-t-on un ministère de la Santé qui n’ait que la tutelle des hôpitaux publics !

La condition première d’une refondation de l’Université est donc que le ministère de l’Enseignement supérieur exerce une responsabilité effective sur l’ensemble de l’enseignement supérieur, public ou privé, généraliste ou professionnel. C’est àcette condition impérative qu’il deviendra possible d’établir une véritable politique de l’enseignement supérieur en France et de définir la place qui revient àl’Université dans l’ensemble de l’enseignement supérieur.

Plus spécifiquement, un tel ministère aura pour mission première de créer un grand service public propédeutique de premier cycle réunissant (ce qui ne veut pas dire normalisant dans un cycle uniforme) IUT, BTS, classes préparatoires et cursus universitaires de licence.

Il lui faudra également procéder àune sorte d’hybridation entre la logique pédagogique des classes supérieures de l’enseignement secondaire et des écoles professionnelles d’une part, et celle des universités d’autre part ; c’est-à-dire introduire davantage l’esprit de recherche dans les premières et, symétriquement, renforcer l’encadrement pédagogique dans les secondes.

2. Missions de l’Université

La mission première de l’Université est de produire et de transmettre des savoirs àla fois légitimes et innovants. Assurément, d’autres missions lui incombent également. Elle ne peut notamment se désintéresser de l’avenir professionnel des étudiants qu’elle forme. Elle est par ailleurs responsable de la qualité de la formation initiale et continue qu’elle délivre et de la transmission des moyens intellectuels, scientifiques et culturels à-même d’assurer une citoyenneté démocratique éclairée.

Deux principes doivent commander l’articulation entre ces différentes missions : d’une part, le souci primordial de la qualité et de la fiabilité des connaissances produites et transmises ; d’autre part, la distinction nécessaire entre missions des universités et missions des universitaires, soit entre ce qui incombe àl’établissement considéré globalement et ce qui incombe individuellement aux enseignants-chercheurs et chercheurs.

Parce qu’une université doit être administrée, pédagogiquement et scientifiquement, et se préoccuper de la destinée professionnelle de ses étudiants, il est nécessaire qu’elle dispose en quantité et en qualité suffisantes de personnels administratifs et techniques spécialisés dans ces tâches.

Il incombe en revanche àdes universitaires volontaires d’en assurer le pilotage. D’importantes décharges de service d’enseignement doivent alors leur être octroyées. Quant au service d’enseignement lui-même, sauf heures complémentaires librement choisies, il ne saurait excéder les normes précédemment en vigueur.

De même, le régime d’années ou semestres sabbatiques de recherche, qui est la norme dans toutes les universités du monde, doit être àla hauteur de la vocation intellectuelle de l’Université, et non plus géré de façon malthusienne.

3. Cursus

Il convient de distinguer clairement l’accès àl’enseignement supérieur pour les bacheliers et l’accès aux masters.

En ce qui concerne l’entrée en licence, il convient de rappeler que le principe du libre accès de tout bachelier àl’enseignement supérieur est, en France, un des symboles mêmes de la démocratie, le pilier d’un droit àla formation pour tous. Il n’est ni possible ni souhaitable de revenir sur ce principe.

Mais il n’en résulte pas, dans l’intérêt même des étudiants, que n’importe quel baccalauréat puisse donner accès de plein droit àn’importe quelle filière universitaire.

Pour pouvoir accueillir àl’Université les divers publics issus des baccalauréats, il faut y créer aussi des parcours différenciés. Seule une modulation des formations pourra permettre de concilier les deux versants de l’idéal universitaire démocratique : l’excellence scientifique, raison d’être de l’Université, et le droit àla formation pour tous, qui la fonde en tant que service public.

Il convient donc àla fois de permettre une remise àniveau de ceux qui ne peuvent accéder immédiatement aux exigences universitaires – par exemple en créant des cursus de licence en 4 ans –, et de renforcer la formation pour d’autres publics, par exemple en créant des licences bi-disciplinaires qui incarnent une des traductions concrètes possibles de l’idéal d’interdisciplinarité, si souvent proclamé et si rarement respecté.

Il convient du même coup que l’Université puisse sélectionner ses futurs étudiants selon des modalités diverses, permettant d’identifier les perspectives d’orientation des étudiants et d’y associer un cursus adapté.

Une telle modification des règles du jeu universitaire ne peut toutefois être introduite sans qu’elle s’accompagne d’une amélioration substantielle de la condition étudiante en termes de financement et de conditions de travail. Le refus actuel de regarder en face la variété des publics étudiants conduit en effet àleur paupérisation et àla dégradation de leur situation matérielle et intellectuelle au sein des Universités. L’idée d’un capital minimum de départ attribué àchaque étudiant mérite àcet égard d’être envisagée.

En ce qui concerne les études de master, il est, de toute évidence, indispensable d’instaurer une sélection àl’entrée en première année et non en deuxième année, comme c’est le cas actuellement en application de la réforme des cursus de 2002 qui a créé le grade de master (système "LMD").

La rupture ainsi introduite au sein du cycle d’études de master a d’emblée fragilisé ces nouveaux diplômes, en comparaison des anciens DEA et DESS qu’ils remplaçaient. Il faut également supprimer la distinction entre masters professionnels et masters recherche qui conduit paradoxalement àdrainer vers les cursus professionnels les meilleurs étudiants, ceux qui seraient précisément en mesure de mener des études doctorales.

4. Gouvernance

Tout le monde s’accorde sur la nécessaire autonomie des universités. Mais ce principe peut être interprété de manières diamétralement opposées. Sur ce point la discussion doit être largement ouverte, mais obéir àun double souci.

D’une part, il convient de ne pas confondre autonomie de gestion (principalement locale) et autonomie scientifique (indissociable de garanties statutaires nationales).

D’autre part, pour assurer la vitalité démocratique et scientifique des collectifs d’enseignants-chercheurs, qui forment en propre l’Université, il est indispensable de concevoir des montages institutionnels qui assurent au corps universitaire de réels contre-pouvoirs face aux présidents d’Université et aux conseils d’administration, ce qui suppose des aménagements significatif de la loi LRU.

Il faut, en somme, redonner au principe de la collégialité universitaire la place déterminante qui lui revient et qui caractérise l’institution universitaire dans toutes les sociétés démocratiques. Le renouveau de ce principe de collégialité doit aller de pair avec une réforme du recrutement des universitaires qui permette d’échapper au clientélisme et au localisme.

Par ailleurs il est clair que l’autonomie ne peut avoir de sens que pour des universités qui voient leurs ressources augmenter et qui n’héritent pas seulement de dettes. En ce qui concerne la recherche, cela signifie que les ressources de financement proposées sur appels d’offre par les agences ne soient pas prélevées sur les masses budgétaires antérieurement dédiées aux subventions de financement des laboratoires, mais viennent s’y ajouter.

De manière plus générale, en matière de recherche, il convient de mettre un terme àla concurrence généralisée entre équipes, induite par la généralisation du financement contractuel, lequel engendre souvent un véritable gaspillage des ressources, en garantissant aux laboratoires un certain volume de soutien financier inconditionnel accordé a priori et évalué a posteriori, notablement plus important qu’il ne l’est aujourd’hui.

Bien d’autres points mériteraient assurément d’être précisés. Mais les principes énoncés ci-dessus suffisent àdessiner les contours d’une Université digne de ce nom. Nous appelons donc tous ceux de nos collègues – et nous espérons qu’ils représentent la très grande majorité de la communauté universitaire et scientifique – ànous rejoindre en signant ce Manifeste. Celui-ci pourrait servir de point de départ àune véritable négociation, et non àdes simulacres de concertation, et être àla base d’une auto-organisation d’États généraux de l’Université.

Premiers signataires :
Olivier Beaud, professeur de droit public àParis II
Laurent Bouvet, professeur de science politique àl’université de Nice Sophia-Antipolis
François Bouvier, président de l’association des délégués régionaux àla recherche et àla technologie
Alain Caillé, professeur de sociologie àParis Ouest-Nanterre- La Défense
Guy Carcassonne, professeur de droit public àParis Ouest -La Défense
Jean-François Chanet, professeur d’Histoire, Lille III
Philippe Chanial, maître de conférences en sociologie àParis IX-Dauphine
Franck Cochoy, professeur de sociologie àToulouse II
Jean-Pierre Demailly, Mathématicien, Professeur àl’Université de Grenoble I, Académie des Sciences
Vincent Descombes, philosophe, directeur d’études àl’EHESS Olivier Duhamel, professeur de droit public àl’IEP
François Dubet, professeur de sociologie àBordeaux II et directeur d’études àl’EHESS
Olivier Duhamel, professeur de droit public àl’IEP de Paris
Pierre Encrenaz, professeur de physique a l UPMC et àl’Observatoire de Paris, membre de l’Académie des Sciences
Olivier Favereau, économiste, professeur àParis Ouest-Nanterre-La Défense
Marcel Gauchet, philosophe, directeur d’études àl’EHESS
Bruno Karsenti, philosophe, directeur d’études àl’EHESS
Philippe de Lara, maître de conférences en science politique àParis II
Franck Lessay, Professeur àParis III (Institut du Monde Anglophone)
Yves Lichtenberger, professeur de sociologie àParis Est-Marne-la-Vallée
Bernadette Madeuf, économiste, présidente de Paris Ouest-Nanterre-La Défense
Dominique Méda, sociologue, directrice de recherches au Centre de Recherches pour l’Emploi
Pierre Musso, Professeur de sciences de l’information et de la communication àl’Université Rennes II
Catherine Paradeise, professeur de sociologie àParis Est- Marne la Vallée
Philippe Raynaud, philosophe, professeur de sciences politiques àParis II
Philippe Rollet, président de Lille I Pierre Schapira, professeur de mathématiques àParis VI, Université Pierre et Marie Curie
Frédéric Sudre, professeur de droit public àMontpellier François Vatin, professeur de sociologie àParis Ouest-Nanterre-La Défense
Michèle Weidenfeld, maître de conférences de mathématiques, université de Picardie Jules Verne d’Amiens




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