ACADEMIE DE GRENOBLE
Autour de la lettre de Guy Môquet
Ce projet (présidentiel) est-il conciliable avec l’éthique professorale ?
Un demi-siècle après Vichy peut-on attendre des enseignants qu’ils professent un amour aveugle de la patrie ? La question a déjà été posée récemment avec la loi sur "les aspects positifs" de la colonisation. On connaît la réponse des enseignants. Peut-on demander aux enseignants qu’ils participent avec leurs élèves à une cérémonie purement formelle, sans mise en perspective historique, qui serve de faire-valoir aux élus du secteur ? Comment l’Elysée n’a-t-il pas lu dans les instructions officielles mêmes de l’Education nationale qui exigent que la mémoire s’efface devant l’histoire, que la réflexion critique des élèves s’exerce, le raidissement de la maison Education devant une conception aussi périmée de l’Ecole et de l’autorité ?
Non à l’ instrumentalisation du devoir de mémoire
Nul ne peut contester au Président de la république le droit d’apprécier, comme beaucoup, la lettre de Guy Môquet et d’avoir fait le choix de la
faire lire le jour de son entrée en fonction.
En revanche, le fait d’imposer aux professeurs la lecture de cette
lettre dans toutes les classes de lycée, le même jour, pose problème.
Ce qui pose problème, ce n’est pas le contenu de la lettre (témoignage
bouleversant), mais bien l’articulation entre usage politique, devoir de
mémoire et "crédibilité" pédagogique.
Le devoir de mémoire indispensable mérite mieux qu’une approche
strictement compassionnelle de l’histoire tragique de la seconde guerre
mondiale.
La tentation d’utiliser l’Histoire à des fins de cohésion sociale ou de
revanche politique est récurrente : déjà en 2005 les députés avaient
cédé à la tentation de légiférer sur l’histoire à propos des "bienfaits"
de la colonisation. Le débat avait été vif, et avait nécessité une
intervention du chef de l’Etat de l’époque.
L’instrumentalisation de l’Histoire, le Sgen-CFDT n’aime pas du tout !
Tout comme Nicolas Sarkozy n’a pas à décider ce qui doit être enseigné Ã
l’Ecole, le Sgen-CFDT n’est pas fondé à donner des consignes impératives sur ce sujet qui relève de la confiance accordée aux enseignants. Il revient aux équipes éducatives d’assumer des choix si possible collectifs et de revendiquer l’autonomie pédagogique pour décider d’appliquer la stratégie qu’ils souhaitent mettre en oeuvre
(contextualisation, recueil des réactions brutes , analyse de la
situation de communication entre le président de la république et les
lycéens, refus de lire la lettre en expliquant la démarche , refus de
toute cérémonie commémorative, etc.) ou toute autre initiative des
équipes éducatives locales.
La
Le Sgen-CFDT appelle le ministère, le gouvernement comme le Président de la République à prendre la mesure des effets pervers que peut générer ce type d’injonction pour les personnels et les jeunes en formation.
Nous publions ci-dessous quelques réflexions d’un collègue grenoblois, comme contribution au débat
La décision prise par Nicolas Sarkozy d’instituer une demi-journée de commémoration marquée en particulier par la lecture de la lettre de Guy Môquet adressée à sa famille avant son exécution appelle un certain nombre de réflexions et de critiques.
En premier lieu cette décision du pouvoir politique concernant le contenu de ce qui doit être enseigné en histoire et qui vient après une série d’initiatives parfois maladroites ou malheureuses au début des années 2000 (esclavage, colonisation positive…) crée de nouveau un sentiment de malaise au sein de la communauté des enseignants d’histoire. Certains, dont je fais partie, estiment que cette décision est une forme d’instrumentalisation de notre science à des seules fins politiques. Je ne dénie pas le droit aux plus hautes autorités de l’Etat de trancher dans un débat historique animant ou perturbant la société française. Ce type d’initiative peut d’ailleurs avoir un fort retentissement comme en atteste l’intervention de Jacques Chirac en 1995. Mais encore faut il que l’intervention du politique porte sur un débat historique dont la société ressent le besoin impérieux qu’il soit tranché. Ici, (...) il semble à beaucoup que l’utilisation de la figure de Guy Môquet par Nicolas Sarkozy relève plus de la manipulation à des fins personnelles que de la volonté de dire l’histoire. Les premières références à Guy Môquet dans les discours de Nicolas Sarkozy datent du 14 janvier 2007, moment de la campagne présidentielle choisi par celui qui est devenu Président de la République par la suite pour tenter de dé-droitiser son discours (...). Le choix (...) est à mon sens très maladroit voir moralement très discutable de la part d’un homme de droite. En effet, Guy Môquet n’a pas été arrêté puis choisi par les Allemands pour être conduit au poteau d’exécution mais par des représentants de Vichy et en particulier Pierre Pucheu le secrétaire d’Etat de l’Intérieur de l’époque, représentant la droite conservatrice et réactionnaire dans ce régime. En histoire politique (...)on peut difficilement faire fi des héritages. Si tout Vichy n’est pas composé d’hommes de droite, la moindre des précautions aurait été tout de même de préciser que ce sont des Français de droite qui ont conduit ce jeune homme à la mort… Les enseignants sont d’autant plus sensibles à cette initiative politique qu’ils peuvent estimer qu’après la Seconde Guerre mondiale, c’est d’autres pans de notre histoire nationale que le pouvoir sera tenté de « relire  » (histoire sociale, histoire de l’immigration).
D’autre part, le choix même de la figure de Guy Môquet afin de célébrer la Résistance n’est pas sans poser questions. Guy Môquet est arrêté en octobre 1940 en possession de tracts communistes. C’est alors un jeune militant communiste qui a pleinement accepté, comme son père, la ligne du PCF. Celle ci consiste à considérer la guerre comme étant le fruit de l’impérialisme et renvoie dos à dos Berlin et Londres. Ce PCF a défendu la ligne du Komintern approuvant le pacte germano-soviétique. A la date de l’arrestation de Guy Môquet, le PCF n’est pas entré en résistance et a pris même quelques initiatives qui encore aujourd’hui restent lourdes à assumer. Ce n’est donc pas un résistant qui est arrêté mais un militant communiste (parti interdit en 1939) porteur de tracts qui n’appellent ni à lutter contre l’occupant ni à poursuivre le combat. Faire de Guy Môquet la figure emblématique de l’engagement précoce en Résistance relève d’une vision biaisée de l’histoire qui est en contradiction avec les acquis de la recherche scientifique. Celle-ci a depuis longtemps montré que la présentation des faits proposée par le PCF, qui se revendiquait comme « le parti des 75 000 fusillés  » (chiffre fantaisiste) ou se drapait dans un appel à la Résistance de Jacques Duclos datant du 10 juillet 1940 fabriqué de toutes pièces, faisait peu de cas de la réalité historique.
Cette instruction ministérielle prend d’autant plus de relief que les programmes d’histoire de terminales ES/L incluent une réflexion scientifique sur l’évolution des mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France.
(...)
Note de service 2007-138 du 2/8/2007, B0 n°30 du 30 aoà »t 2007 sur le site ministériel.

La <a
href="http://humanisme74.edres74.ac-grenoble.fr/spip.php?article112" class="spip_out">lettre de Guy Môquet
Effacement de l’histoire et culte mémoriel sur le site du CVUH.
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